Détecter et expliquer les émissions polluantes d’ammoniac dans l’atmosphère : l'analyseur ROSAA

Biosphere-Atmosphere Team

L’ammoniac (NH3) occupe une place importante dans les relations agriculture-environnement : plus de 98% de l’ammoniac atmosphérique provient des sources agricoles et sylvicoles en France (Estimation CITEPA, 2009). L’évaluation des émissions d’ammoniac en support à la réalisation d’inventaires et cadastres d’émission ou pour évaluer des méthodes de réduction des émissions, nécessite la mesure des échanges en conditions réelles d’environnement, au champ ou en bâtiment d’élevage, mais aussi en conditions de laboratoire pour étudier plus finement les processus conduisant aux émissions.

Le manque de données permettant d’estimer précisément les quantités d’NH3 échangées entre la surface et l’atmosphère s’explique par la difficulté de mesurer ces échanges. Actuellement, les analyseurs existants ne bénéficient pas de calibrations automatisées. Les systèmes les plus performants pour les mesures à hautes fréquences sont des TDL/QCL (systèmes à diode laser) mais ils ne possèdent pas une sensibilité suffisante pour mesurer des dépôts d’NH3. Les systèmes de tube denuder rotatifs à flux continu associé à une analyse conductimétrique (AMANDA) sont nettement plus sensibles mais nécessitent des débits d’air échantillonné importants (30 L min-1) empêchant le travail en conditions contrôlées et à l’intérieur du couvert végétal.

Partant de ce constat et de l’existant, nous avons développé le système ROSAA (RObust and Sensitive Ammonia Analyser), analyseur d’NH3 très sensible (destiné à la mesure de flux de quelques dizaines de ng.m-2.s-1), robuste (entretien bi-hebdomadaire ou mensuel / contrôle hebdomadaire), avec étalonnage automatisé. Le système ROSAA repose sur un couplage de (1) capteurs (« denuders » verticaux) piégeant l’NH3 gazeux sous forme d’NH4 + à (2) une analyse en ligne de la concentration d’ NH4 + piégée. L’analyse est réalisée par conductimétrie après passage sur une membrane semi-perméable. Le système ROSAA présente l’avantage (a) d’éviter les problèmes d’échantillonnage liés à la réactivité de NH3, (b) de n’échantillonner que la fraction gazeuse (et non les aérosols) et (c) de permettre de prélever des échantillons simultanément en divers points.

Les premiers tests de validation du système dans sa globalité ont été réalisés. On note une grande efficacité de piégeage d’NH3 par les denuders avec des rendements d’extraction proche de 99%. La justesse du système a été validée pour une large gamme de mesure de 40 à 200 μg NH3 m-3 , avec des répétabilité et reproductibilité ayant des coefficients de variation inférieurs à 2%. La concentration limite quantifiable en NH3 dans l’air est estimée à 2 μg NH3 m-3 . Ces performances peuvent être améliorées en optimisant le choix des débits d’air et liquide à utilisés l’intérieur des denuders.

Aujourd’hui, ce système a déjà eu des usages dans le domaine de la recherche appliquée pour quantifier des émissions d’NH3 par les surfaces agricoles après apport d’engrais au champ. Les pertes azotées que nous avons mesurées après apport de lisier au champ s’élevaient à 25 % de l’azote apporté (campagne expérimentale à Grignon en avril 2008). Les teneurs mesurées par ROSAA et d’autres systèmes et méthodes de mesure validées ont été confrontées. Les faibles écarts (inférieurs à 3%) observés entre les différents systèmes de mesure permettent une première évaluation intéressante du fonctionnement de ROSAA en conditions naturelles.

Le développement de ce système à plus grande échelle devrait permettre d’amplifier les études sur la compréhension des échanges d’NH3 entre les surfaces agricoles ou naturelles et l’atmosphère. Il y a aujourd’hui un besoin plus grand de comprendre ces échanges sur les gaz d’origine agricole sur de longues périodes. C’est en effet une demande nationale et européenne de mieux quantifier ces échanges (l’exemple du programme européen NitroEurope préfigure cette orientation de recherche ; en outre l’évaluation des émissions d’ammoniac est aujourd’hui une priorité pour l’Ademe). C’est également une première étape vers la constitution d’un réseau de mesure d’envergure nationale sur l’échange d’NH3. Ceci touche autant le domaine de la recherche que de la surveillance pour la santé publique et les impacts environnementaux.

Par ailleurs, l’expertise développée lors de ce projet de développement sur la mesure de composés gazeux par conversion en phase liquide nous permet d’envisager à l’avenir la mesure sur d’autres espèces, comme le dioxyde de soufre (SO2), l’acide nitrique (HNO3), l’acide nitreux (HONO) ou les aérosols minéraux. L’extension de cette approche à d’autres composés tout aussi complexes à mesurer pour les faibles concentrations apporte une voie supplémentaire à priori fiable dans le domaine de la mesure des échanges de composés gazeux.